Hypérion Nott débarquait en finale du tournoi de duel. Non pas qu’il ne s’y attendait pas – il avait tout de même une grande estime de lui-même – mais il aimait bien en faire le constat. Il avait dégager, sans le savoir, les deux jumeaux Turman de la compétition avec efficacité – bien que la deuxième se soit confortablement bien défendue – et se retrouvait maintenant face à Joe Emerald. Ah ce vieux bougre, Nott le connaissait bien. Ils échangeaient de temps en temps quelques bons services. Ils s’entendaient bien. Joe était un homme que le journaliste respectait. C’était un homme d’affaire qui n’avait pas peur de se tâcher les mains et qui restait droit dans ses bottes. Des qualités que Nott reconnaissait. Aussi, il fût heureux de savoir qu’il finirait ce tournoi sur un affrontement entre lui et ce vieil ami. Ami, c’était peut-être vite dit, mais la tension ne serait certainement pas aussi palpable qu’auparavant.
Hypérion ne se lassait jamais d’agacer les gens – surtout ceux qu’il parvenait à écraser – mais il ne crachait pas sur un instant d’échanges amicaux autour d’une bonne bagarre. C’était un battant. Il avait passé son enfance à se battre pour un rien et avait fini par se ranger derrière les mots.  

Nott quitta la loge des participants après avoir terminé son café et gagna la scène. On les fit monter. La salle était pleine à craquer, des gens continuaient d’entrer, s’asseyant sur les marches. La foule venait voir un duel on-ne-peut-plus intéressant. Un grand duelliste, contre une personnalité médiatique reconnue. Aucun n’était inconnu au bataillon, ce qui rendait l’affiche attirante. Que l’on soit pour l’un ou pour l’autre, que l’on souhaitait voir Nott se faire ravager la tronche, ou Emerald perdre enfin un duel, on était heureux de les voir s’affronter.
Hypérion serra la main de Joe, un sourire aux lèvres. Agréable.

- Ne sois pas trop dur avec moi, Joe. J’ai moins de cicatrices.

Ils se mirent en position, saluèrent et le combat débuta. Joe enchaîna le plus rapidement, vif, il n’avait rien perdu malgré l’âge. Nott contra non sans mal renvoyant le sol au plafond où un sortilège de protection l’étouffa.

- Tant que tu passes pas à la vitesse supérieure, je devrais y arriver.

Il agita sa baguette habilement, expulsant son adversaire de plusieurs mètres. Ce ne serait probablement pas aussi sanglant qu’au précédent, mais ce duel n’en resterait pas moins intense.

STATS:

Ce n’était plus un duel à enjeux. Joe en avait connu, des duels où il fallait se battre, vraiment se battre, simplement pour survivre, parce que les quelques galions qu’on lui filerait seraient le seul moyen de subsistance qu’il aurait pour le mois à venir. Dans ces combats, où c’est littéralement la survie qui en est jeu, il n’y a pas le choix, on pourrait aller jusqu’au meurtre, sans se poser aucune question, parce que la réalité est simple : c’est eux ou c’est nous, peu importe que le pauvre type en face vive exactement la même chose. Il avait fini des types à coups de poings pour gagner l’argent de paris qu’il avait fait sur lui même. Cette mentalité venait de son parcours, ce n’était pas simplement une question d’ego, pour lui de gagner tous les combats qu’il menait. C’était que chaque foutu échec le renvoyait à sa situation de départ, le gamin quasi orphelin, famélique qui s’occupait de son alcoolique de père et qui avait laissé son frère, le meilleur des hommes, se faire descendre pour de sombres magouilles politiques.

Mais il avait appris, Joe. Pourquoi croyez vous que je vous déteste tous ? Parce que je sais ce que vous valez. Un tas d’ordures, tous. Il s’y incluait dedans, à présent, parce qu’il avait compris qu’il y avait du profit à faire. Des marchés à avoir. Une place au soleil à obtenir. C’est tout ce que je voulais, une place au soleil. Et vous me l’avez offerte, avec vos pulsions et vos envies, votre besoin d’avoir un partenaire illégal. Oh, vous me détestez ? Oui, mais vous aviez le choix de ne pas me fréquenter et vous ne l’avez pas fait, vous pouviez me détruire mais vous avez essayé de m’utiliser. Résultat, il les tenait par les couilles. Hypérion Nott était lui aussi une ordure, et quelque part, lui aussi un profiteur. Mais Nott avait deux ou trois qualités qui faisaient que Joe ne le détestait pas. Bien sûr, il était méprisant, en bon sang pur, mais c’était assumé. C’était brutal, mais c’était honnête. Et on pouvait lui balancer la même franchise brutale dans la gueule, le même degré de sarcasme. C’était l’intelligence et la lucidité qui le sauvait, ce type. Ca changeait des crétins qui se prenaient pour les rois du monde mais qu’on pouvait avoir avec une fille ou deux et qui étaient d’un vulgaire terrible, sans compter une intelligence moyenne.

Pour un sang pur, il était sans doute ce qui se rapprochait le plus d’un ami pour Joseph : au moins n’avaient-ils rien à se prouver, c’était en ce sens que Emerald pensait qu’il n’y avait aucun enjeu dans ce duel. J’ai prouvé ce que je voulais de l’autre côté. Allons y pour le sport. Il se releva juste après l’assaut de Nott, balança sans hésiter un bombarda. A son tour, Hypérion fut projeté en arrière. L’issue serait serrée, mais tant mieux.

“J’espère que tu ne comptais pas sur moi pour te laisser gagner.” Il sourit. “Alors. Combien tu paries sur toi-même ?”

Parce qu’évidemment, Joe était sûr de gagner et ne pariait que sur sa propre tête.

Spoiler:

On disait qu’un salaud en attirait un autre. A regarder la finale du tournoi, c’était presque vrai. Ces deux-là avaient de quoi faire pâlir la moitié des criminels de Grande-Bretagne. Enfin, Joe était en pole position pour prétendre au titre de grand malfrat. Hypérion, petit joueur à côté, accumulait les peines et condamnations exorcisées par ses relations. L’un dans l’autre, ils étaient des loubards qu’on ne trompait plus. A revoir le vieux Joe ce soir, Hypérion se disait qu’il faudrait repasser au bar, à l’occasion. Il en avait passé de bonnes soirées dans ce nid à bagarre. C’était probablement un signe que de se battre aujourd’hui contre lui. Comme un appel à ne pas oublier les rares relations intéressantes qu’il entretenait.

Il se retourna cul à terre plus vite qu’il ne l’aurait cru. Alexa avait été battante, mais Joe était un tout autre calibre. Les sorts faisaient mal, Nott sentait ses côtes se compresser sous la puissance du bombarda. On sentait le poids des années dans ses gestes, c’était fascinant. Un bon duelliste qu’on ne ferait plus.
L’époque où Joe se battait encore pour quelques pièces ne disait rien au journaliste. Il ne le connaissait pas encore et peut-être même n’était-il pas né. Néanmoins, il avait connu Emerald dans la merde, sous la pression du fric et des prêts. Le trafic n’était pas un milieu agréable, ni compatissant. Il fallait une poigne pour en assumer les conséquences. L’affecte qu’éprouvait le journaliste pour le gangster trouvait probablement son origine là-dedans. Joe avait des couilles, et ça, c’était admirable, car bien trop rare.
Hypérion se releva, un sourire douloureux.

- Ca m’emmerderait de te faire avaler le bitume sans prendre quelques revers de temps en temps.

L’enjeu ? Il y en avait un. Celui de gagner. C’était simple, c’était bête, c’était sport. Simplement gagner. Il ne vanterait pas sa victoire, il s’en foutait. Le simple fait de gagner suffisait à l’idée qu’il se faisait de lui-même. Il devait gagner pour la beauté de la gagne. Point. D’un geste vif, plusieurs racines sortirent du sol, compressant Joe, le clouant à terre.

- Je miserais bien un pauvre gallion, mais j’en ramènerais des millions. On dira que je suis un salaud de tricheur. T’en sais quelque chose.

Car des parties de cartes foireuses, il y en avait eu au Emerald’s. Un bon paquet où Nott avait fini poing en sang après qu’un autre roublard l’eût soupçonné de tricher – à juste titre – pendant les parties. C’était une époque où Nott s’était senti vivant. Aujourd’hui, s’il était heureux, sa vie ne transcendait en rien ce qu’il espérait devenir. Si sa situation était tranquille, était-ce réellement ce qu’il voulait ? Qu’aurait pu dire le jeune adulte, poings en sang, censuré, jeune journaliste à peine publié, de sa vie bien rangée ?

Certainement pas du bien.

STATS:

Oui, c’était serré, et Nott se défendait bien. Pour un journaleux cocainé, bon dieu, oui, gamin, tu t’en sors bien. Joe savait reconnaitre quels adversaires avaient de la valeur même s’il ne les appréciaient pas. Dans ce monde, y a pas deux solutions. Tu écrases ou tu te fais écraser, c’est tout. C’est rare de tomber sur des gens dont on peut dire “tiens, celui là, il me ressemble. Celui là, il est comme moi, on est sur un statu quo, même si je le déteste, il vaut quelque chose”. Par exemple, en ce qui concernait les tarés qu’il balançait dans la Tamise parce qu’ils étaient incapables de contrôler leurs pulsions, Joe ne leur portait aucune estime. Il n’avait rien contre l’illégalité, contre cogner des gens, contre emmerder de mauvais payeurs, ou vendre de la came. Il avait quelque chose contre les cinglés. Contre ceux qui erraient la nuit dans l’allée des embrumes, choppaient des filles, et les égorgeaient. Joseph Emerald était un mafieux, un vrai, peut-être même le roi des mafieux de l’Angleterre magique, mais il avait un minimum d’honneur. Il ne traitait qu’avec des gens raisonnables qui voyaient l’illégalité comme un moyen de profit. Les autres, les cinglés qui aimaient la violence et le crime pour le crime, c’étaient des nuisibles, et il fallait les jarter.

Après, il y avait ceux qu’il détestait mais à qui il portait une certaine estime. Type Anne Fraser. Elle était dangereuse, pas franche du collier, cette fille, et elle servait des gens du même type qu’elle. Mais elle savait se battre et elle savait répondre. Au fond, elle lui ressemblait et c’était pour cela que Joe l’estimait un peu. Et puis elle savait se battre. Puis il y avait les gens comme Hypérion Nott, qui comprenaient son monde, et qu’il comprenait assez pour l’estimer. Puis il se battait bien, cette enflure.

Ils faisaient jeu égal. Joe le savait, l’issue de ce duel, ce serait plus de la chance qu’autre chose, le niveau était bon que presques tous les sorts portaient, et qu’ils perçaient les défenses de l’un et l’autre sans presque aucune difficulté. Ah mais ce n’est pas fini, jamais, je vais pas te laisser t’en sortir comme ça. Il prit de nouveau un sort, se marra. C’était bien ficelé, saloperie de plantes.

“Je ne serais toi, je ne préjugerais pas trop.” D’une forte pression, mais sans violence, il parvint à se libérer et se remit debout. “Il est encore possible que je te bouffe...Gamin.”

Et d’un geste, il envoya un sort de feu sur Hypérion, causant des brulures superficielles. Ils étaient à présent dans le même état, tous les deux. Malgré tout, Joe se mit à rire :

“Alors, tu veux tenter ta chance, ou pas ?”

Spoiler: