Astoria vérifia une dernière fois qu’elle n’avait rien oublié. Bien sûr, elle avait déjà vérifié cinq minutes auparavant, mais c’était presque compulsif. Elle avait besoin de s’assurer qu’elle était aussi préparée que possible. C’était aujourd’hui son premier jour de travail, elle allait devenir une employée du Ministère de la Magie, et l’idée l’excitait autant qu’elle lui donnait le trac.

Pourtant, elle semblait bien la seule à considérer que c’était un événement qui méritait une telle anxiété. Une jeune femme bien née n’était pas supposée avoir à travailler, encore moins si elle était déjà fiancée : n’ayant pas besoin de gagner d’argent, il était presque vulgaire qu’elle s’abaisse ainsi au rang de la plèbe, sa priorité devait être de fonder une famille. A la limite, si elle voulait travailler, il fallait que ce soit dans la gestion des affaires familiales, comme le faisait Daphné. Bien que n’étant pas l’aînée, Astoria aurait pu elle aussi intégrer l’entreprise familiale : elle n’aurait jamais obtenu la direction, réservée à l’héritière, mais elle aurait pu rapidement occuper un rôle important. Seulement, la botanique et l’agromagie n’avaient jamais passionné la cadette, et elle s’imaginait mal travailler dans ce secteur. Certes, elle maîtrisait le socle de connaissances requis et comprenait l’intérêt stratégique de leur position dans ce secteur économique, mais elle ressentait le besoin de voir plus large.

En fait, Astoria avait toujours eu d’autres aspirations. Enfant, la première fois qu’on lui avait demandé ce qu’elle voulait faire plus tard, elle s’était vue présidente du Magenmagot ou Ministre de la Magie. Elle avait été peinée quand son père avait simplement ri de son imagination débordante en apprenant ses ambitions. Par la suite, elle avait effectivement compris que ce rêve d’enfant n’était pas réalisable et de toute manière incompatible avec le rôle qui lui était assigné, mais cela n’avait pas remis en cause son intérêt pour la politique. Astoria voyait grand. Le monde sorcier allait mal, leur survie était menacée, et le temps manquait. Il fallait agir, des choix devaient être faits, et elle voulait être impliquée. Et s’il lui était impossible de s’en mêler directement, qu’à cela ne tienne, elle tenterait d’exercer une influence indirectement.

Ce travail au Ministère représentait donc pour elle une opportunité à ne pas manquer. En travaillant au Département de la Justice Magique, et plus spécifiquement aux services administratifs du Magenmagot, elle aurait la possibilité de se familiariser avec le fonctionnement concret du gouvernement du monde sorcier britannique. Pour le moment, elle avait de solides connaissances théoriques, mais cela ne suffisait pas, elle voulait pouvoir observer comment cela se passait en réalité. En tant qu’assistante, elle aurait cette chance d’être à la fois à proximité des détenteurs du pouvoir et à peu près invisible à leurs yeux, une position idéale pour observer.

Mais pour le moment, elle n’en était pas là. Il était finalement l’heure d’aller se présenter à son nouveau poste, et si elle voulait en tirer le meilleur parti possible il faudrait qu’elle donne satisfaction. Elle devait donc veiller à donner une bonne première impression à ceux qu’elle croiserait aujourd’hui.

Astoria emprunta le réseau de cheminette pour arriver directement dans l’Atrium du Ministère. Elle se dirigea sans attendre vers le Monument de la Puissance magique, où il était convenu qu’elle serait accueillie par une personne en charge de la guider dans les formalités administratives de sa prise de poste. Pas pour un entretien d’embauche, puisque l’appui de son père la dispensait de cette étape, mais pour signer les papiers nécessaires et faire un tour de présentation, du moins à ce qu’elle avait compris. Arrivée au pied de la statue, elle chercha du regard à identifier cette personne, et détermina rapidement que ce devait être la jeune femme qui avait également l’air de chercher quelqu’un. Astoria se rapprocha donc pour la saluer, un sourire aimable aux lèvres.

« Bonjour, je suis Astoria Greengrass. Êtes-vous bien la personne avec qui j’ai rendez-vous ce matin ? »

Astoria avait reconnu son interlocutrice : elles avaient été scolarisées à Poudlard la même année, et avaient donc partagé des classes jusqu’à la fermeture de l’école. Cependant, Athénaïs Moreau était une Gryffondor, et au mieux de Sang-Mêlé. Elles n’avaient donc jamais rien partagé d’autre que ces classes. La Serpentarde choisissait de se montrer polie en ne la traitant pas comme une ancienne camarade de classe mais comme une future collègue, qui de plus se trouvait être sa senior puisqu’elle travaillait au Département de la Justice depuis plus longtemps.

Astoria n’avait pas spontanément amorcé une poignée de main en venant saluer Athénaïs, car un tel geste n’avait rien d’anodin pour les Sang-Pur respectueux des traditions : les contacts physiques devaient se limiter à certaines circonstances bien déterminées, et restaient extrêmement codifiés. Ainsi, pour une simple poignée de main, afin de déterminer de quelle manière cette poignée pouvait être échangée, il fallait tenir compte de critères divers tels que le statut de la famille, le statut individuel, la situation familiale, l’âge, le sexe, l’état de santé des personnes concernées. Par conséquent, le simple fait qu’Athénaïs ait avancé sa main tout naturellement en se présentant laissait supposer que les manières moldues lui étaient plus familières que les manières traditionnelles du monde sorcier. Cependant, cela n’empêcha pas Astoria de lui serrer la main sans marquer d’hésitation : en tant que traditionaliste, elle jugeait important de connaître les us et coutumes de leur société et de savoir en interpréter les nuances, mais elle trouvait tout aussi important de savoir faire preuve d’adaptabilité. Si elle avait refusé de serrer cette main, elle aurait certainement mis l’autre jeune femme mal à l’aise, et ce serait stupide de se brouiller avec une future collègue pour si peu.

Elle écouta ensuite Athénaïs lui expliquer qu’elle prévoyait de lui faire visiter les principaux lieux du Ministère, et accepta la pile de papiers qui lui était tendue. Elle eut un sourire amusé en réponse aux commentaires de l’autre jeune femme.

« En effet, une telle pile de papiers semble quelque peu excessive pour un simple contrat d’embauche… Mais tous ceux que je connais qui travaillent avec le Ministère se plaignent constamment de la quantité de formalités nécessaire pour faire valider la moindre action. Alors je ne peux pas prétendre ne pas avoir été prévenue, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même d’avoir persisté dans ce choix de carrière. »

Elle feuilleta rapidement la pile pour voir de quels documents il s’agissait, et glissa l’ensemble dans son sac. Elle lirait tout dans le détail plus tard, une fois la visite terminée. Elle accorda à nouveau toute son attention à sa guide, qu’elle suivit jusqu’aux ascenseurs. Pendant qu’elles attendaient, Athénaïs expliqua le mode de fonctionnement des ascenseurs, puis elles entrèrent dans la première cabine à s’arrêter à leur étage.

Seulement, le temps que la cabine arrive, une foule s’était amassée derrière elle et les deux jeunes femmes se retrouvèrent pressées contre la paroi du fond. Comme toujours dans ce genre de situation, Astoria s’efforça de préserver une distance minimale afin de ne pas entrer en contact avec quiconque. La simple proximité physique la mettait très mal à l’aise, alors si elle devait utiliser quotidiennement ces ascenseurs, il serait impératif qu’elle trouve des horaires moins fréquentés, ou alors qu’elle trouve une combine pour s’assurer de voyager dans une cabine peu remplie… ou alors...

Elle s’efforça de ne pas laisser percevoir son malaise, et sourit légèrement au dernier commentaire d’Athénaïs, en profitant pour glisser une question.

« Effectivement, ce n’est pas le mode de transport le plus pratique que je connaisse… Ces ascenseurs semblent sous-dimensionnés au vu de la fréquentation. N’y a-t-il pas d’escaliers ? »

Heureusement, le trajet était effectivement rapide, le plus long restait les arrêts aux étages. Après une halte au cinquième puis au septième, l’ascenseur s’arrêta au deuxième, étage du Département de la Justice Magique. Astoria essaya de s’extirper de la cabine sans être bousculée, mais peine perdue, elle fut poussée en avant par quelqu’un d’apparemment trop pressé pour prendre le temps de s’excuser. Elle serra les dents et s’abstint de tout commentaire, mais ne put retenir une légère grimace. Il faudrait vraiment qu’elle trouve une solution, elle n’allait pas pouvoir supporter de subir ça à chaque déplacement.

Heureusement, elle fut distraite de ces préoccupations lorsque sa guide reprit la parole. Apparemment, Astoria n’avait pas suffisamment dissimulé son malaise, car Athénaïs semblait chercher à la rassurer. La jeune Greengrass se reprocha intérieurement de n’avoir pas mieux contrôlé son expression, mais adressa néanmoins un sourire reconnaissant à son interlocutrice avant de lui répondre.

« Je compte bien faire de mon mieux pour m’intégrer rapidement. C’est vrai que l’univers du travail est très différent de l’univers scolaire, mais à vrai dire, j’avais hâte de commencer à travailler. »

Avoir un travail, c’était une sorte de premier pas dans le monde des adultes. Astoria avait longtemps attendu ses dix-sept ans, imaginant naïvement que la majorité suffirait à lui octroyer magiquement la liberté dont elle avait rêvé. Elle avait rapidement déchanté : une fois ses dix-sept ans fêtés, rien n’avait changé. Moins naïve à présent, elle espérait néanmoins qu’elle ne tarderait plus à gagner son indépendance. Le travail était un moyen d’y parvenir. Le mariage en était un autre.

Cette visite s’avérait moins ennuyeuse qu’Astoria ne l’avait craint initialement. Lorsque son père lui avait annoncé cette étape des formalités, elle s’était imaginée accompagnant un employé réticent à l’idée de baby-sitter une fille-à-papa au lieu de vaquer à ses occupations, ou au contraire devant supporter l’obséquiosité d’un employé désireux de se faire bien voir de son patriarche. Elle avait été soulagée de reconnaître Athénaïs, la voyant mal endosser l’un de ces rôles. Et effectivement, son ancienne camarade de classe menait cette visite avec cordialité, ne laissant jamais le silence s’installer, enchaînant les anecdotes et conseils. A chaque fois, Astoria l’écoutait avec attention, ne serait-ce que par politesse, mais aussi parce que c’était intéressant de connaître le point de vue de quelqu’un qui avait encore un regard neuf sur le fonctionnement du Ministère.

Techniquement, Astoria avait évidemment moins d’ancienneté qu’Athénaïs puisque c’était son tout premier jour de travail, mais le Ministère n’était en rien une découverte pour elle. Elle y était souvent venue, et ce dès son plus jeune âge, pour rendre visite à l’un ou l’autre membre de sa famille. Elle avait été initiée aux subtilités du droit sorcier par différents tuteurs tout au long des dix dernières années. Son père avait veillé à ce qu’elle assiste à des délibérations publiques durant chaque session d’été du Magenmagot. Elle avait constamment entendu parler de législations à la maison ou lors de soirées Sang-Pur, elle en avait fréquemment discuté avec sa tante pour en décrypter les enjeux. Elle avait elle-même cherché à compléter ses connaissances en lisant de nombreux ouvrages faisant le lien avec la politique. Par conséquent, même s’il lui faudrait apprendre en quoi consistait son rôle dans ce nouvel emploi, et que rien de tout cela ne diminuait son anxiété à cette idée, elle ne se sentait pas réellement en terrain inconnu.

Mais la jeune Greengrass n’étant pas de ceux qui ressentent le besoin d’étaler leur supériorité, elle n’émit pas de commentaire en ce sens et se contenta d’un hochement de tête assorti de quelques mots d’assentiment lorsque sa guide lui décrivit le travail à fournir pour apprendre les lois. Il y avait quelque chose d’admirable dans la détermination d’Athénaïs, qui se lançait dans une carrière au Département de la Justice sans y avoir été préparée, armée seulement de sa bonne volonté. La plupart des recrues avaient plutôt un parcours semblable à celui d’Astoria : des Sang-Pur déjà familiarisés avec la législation grâce à leurs contacts familiaux et à une éducation complétée par des tuteurs privés, pour lesquels la voie était toute tracée. Ce qui rendait la concurrence bien peu loyale, il fallait le reconnaître, mais cela fonctionnait ainsi depuis longtemps, ce système avait été cautionné par les élites merlinistes bien avant la prise de pouvoir puriste.

A propos des séquelles du merlinisme, Astoria nota mentalement qu’il faudrait qu’elle se fasse confirmer cette absence d’escaliers. Elle ne s’était jamais vraiment posé la question auparavant, lorsqu’elle venait en simple visiteuse, mais elle avait toujours considéré qu’il devait exister d’autres moyens de se rendre d’un étage à l’autre pour ceux qui portaient un badge d’employé du Ministère. Dans le cas contraire, cela semblait une aberration en terme de sécurité : lors de l’attaque d’un bâtiment, les premières mesures consistaient généralement à empêcher le transplanage et l’activation de portoloins, et à verrouiller le réseau de cheminette. De fait, si le seul moyen de transport entre les étages du Ministère étaient les ascenseurs, une explosion bien placée et tous les employés se retrouvaient coincés. L’existence d’une telle faille de sécurité semblait peu vraisemblable, mais vu que la gestion merliniste avait souvent consisté à s’enfoncer la tête dans le sable en imaginant que ça empêcherait le danger d’approcher, Astoria préférait obtenir la confirmation de l’existence d’issues de secours.

Après la bousculade à la sortie de l’ascenseur, Astoria s’assura que sa tenue était toujours en ordre et remit une mèche de cheveux derrière son oreille avant de répondre sur un ton laissant clairement transparaître son opinion quant à ce manque de manières, sans toutefois perdre son sourire.

« C’est bien regrettable. La politesse ne devrait pas être un usage dont on choisit de se servir ou pas, elle devrait être présente en toute circonstance. Le respect d’autrui est la base dans une société. »

Et le respect d’autrui ne se limitait pas à de la politesse superficielle. C’est principalement en cela qu’Astoria se sentait en désaccord avec la politique menée actuellement par le parti puriste : les positions étaient trop radicales, empêchant tout dialogue avec l’autre camp pour trouver des accords qui permettraient peut-être d’éviter une telle violence. Elle avait fêté la prise de pouvoir des puristes, mais avait un peu déchanté depuis, n’appréciant pas toujours les directions choisies.

Mais heureusement, Athénaïs semblait faire partie de ces personnes pleines de bonne volonté et toujours disposées à coopérer, même avec ceux qui n’étaient pas du même bord politique. Sa guide ne pouvait ignorer qu’Astoria était affiliée au parti puriste, et tout laissait pensait qu’elle-même était neutre sinon merliniste, mais elle ne bâclait pas la visite pour autant et proposait spontanément son aide. Astoria ne pouvait qu’apprécier.

« Merci beaucoup, dans ce cas je ne manquerai pas de faire appel à vous en cas de difficulté. Je crois aussi qu’il est indispensable de s’entraider, et peut-être aurai-je plus tard la possibilité de vous rendre service en retour. »

Suivant le mouvement de bras d’Athénaïs, elle prit ensuite le temps de parcourir du regard la grande salle dans laquelle elles se trouvaient. Astoria était déjà passé par là de nombreuses fois, et si l’agencement avait un peu évolué au fil des années, elle savait néanmoins situer les principaux bureaux.

Directement dans cette salle, il y avait un hall d’accueil, avec un bureau destiné à accueillir les visiteurs et à les rediriger vers le service approprié, ainsi qu’un espace d’attente. Sur leur gauche, les bureaux les plus proches étaient ceux de la police magique, les plus directement accessibles car ceux qui étaient le plus susceptibles de recevoir du public. Les bureaux des Mangemorts étaient situés jusque après, là où se trouvaient précédemment les Aurors. Astoria croyait savoir qu’il y avait une zone de transplanage et des cellules de détention provisoire dans les parties privées du secteur Mangemort, mais ce n’était que par ouïe-dire, elle n’était jamais allée que dans la partie publique. Sur leur droite, il y avait d’abord les bureaux du Service des Usages abusifs de la Magie, puis ceux du Service des Détournements de l’Artisanat Moldu, deux services qui avaient connu de franches coupes de budget et d’effectifs depuis la prise de pouvoir puriste. Inversement, les Services administratifs du Magenmagot avaient considérablement gagné en ampleur du fait des importants changements législatifs en cours, et les bureaux libérés par les deux services précédents avaient donc été récupérés. A priori, c’est dans l’un de ces bureaux des Services administratifs du Magenmagot que la jeune Greengrass aurait à travailler, quand elle ne serait pas envoyée à la recherche d’informations dans un autre service.

Après ce coup d’oeil panoramique, Astoria dirigea à nouveau son attention vers sa guide pour la suite de la visite.

Les deux jeunes femmes s’avancèrent dans le hall, et Athénaïs commença à désigner les emplacements des différents services du Département de la Justice Magique. Astoria apprécia la neutralité dont sa guide faisait preuve en mentionnant les remaniements récents : rien dans son ton ne permettait de présumer qu’elle désapprouvait le remplacement du Bureau des Aurors par le Bureau des Mangemorts. Et pourtant, Astoria elle-même, toute Puriste qu’elle fût, jugeait ce changement de mauvais goût : le terme « Mangemort » était d’une laideur incontestable, et c’était un désastre en terme de communication politique. La population sorcière britannique avait été terrorisée par des Mangemorts encagoulés depuis deux décennies, et Lucius Malefoy s’attendait à ce que ce passé soit enterré simplement parce qu’il l’avait déclaré ? Retirer leur masque et leur imposer des méthodes de travail en accord avec la législation ne changeait rien tant que leur nom de sinistre mémoire était préservé et empêchait qui que ce soit d’oublier ce dont ils étaient capables. Aucun sorcier ne pouvait faire confiance à des Mangemorts pour le protéger, la seule pensée était risible.

La jeune Greengrass opina de la tête en réponse à la question de sa collègue : le Département de la Justice Magique était sans doute celui qu’elle connaissait le mieux parmi les Départements du Ministère, elle était donc familière de la réorganisation qui y avait pris place suite à l’élection de Lucius Malefoy. Et s’il aurait été préférable que le renommage du Bureau des Aurors soit géré différemment, la plupart des autres modifications semblaient avoir pris la bonne direction. Chapman Rosier ne jurait que par l’efficacité, et il avait su mettre un terme à des aberrations organisationnelles tolérées – voire encouragées – par l’administration précédente. Le taux de corruption au sein du Département semblait avoir nettement diminué ces deux dernières années, du moins d’après ce que sa tante avait pu observer.

Elle opina à nouveau lorsque sa guide indiqua que leur visite ne comporterait pas les bureaux de la police magique ou des Mangemorts, et confirma que cela ne lui posait aucun problème. C’était sans importance : elle y était déjà allée et saurait se répérer si elle avait besoin de s’y rendre, et la probabilité d’y rencontrer un quelconque rustre misogyne y était anormalement élevée. Elle comprenait donc parfaitement la réticence d'Athénaïs, elles pouvaient s’en dispenser sans le moindre regret.

Au moment où sa collègue lui indiqua l’une des notes de service en train de fuser à travers le hall, elle en profita pour glisser une interrogation.

« Quel est le sort utilisé pour s’assurer que la note de service arrive à destination et ne soit pas pas intercepté par quelqu’un d’autre ? »

La première fois qu’elle avait visité le Ministère aux côtés de son père, alors qu’elle n’était âgée que de 5 ou 6 ans, elle avait été fascinée par le ballet des notes de service, volant à toute allure en toutes directions sans jamais se percuter. Elle avait alors posé à son père cette même question, mais il avait pris un air terriblement las en commentant qu’il aurait dû s’attendre à ce qu’une fille ne s’intéresse qu’à l’aspect le plus frivole de ce qu’il prenait le temps de lui faire découvrir. Elle n’avait plus rien demandé. Et plusieurs années après, en rendant visite à sa tante au Magenmagot, elle avait reposé la même question, mais sa tante l’avait taquinée en affirmant que si elle voulait apprendre ce sort, il faudrait qu’elle vienne elle aussi travailler pour le Magenmagot car ce sort était réservé aux employés du Ministère. Astoria venait donc de poser la question pour la troisième fois, mais en principe, ce serait la bonne ! Et exclusivité du Ministère ou non, rien ne l’empêcherait d’essayer d’adapter ce sort pour faire voler ses propres origamis selon une trajectoire semi-déterminée. Elle ne voyait pas au nom de quoi elle ne joindrait pas l’utile à l’agréable.

Elle répondit ensuite à la question de sa collègue concernant son affectation.

« J’ai obtenu un poste au sein des services administratifs du Magenmagot. Comme je n’ai pas encore de spécialité, je serai affectée à une mission ou à une autre en fonction des besoins du moment. Je n’ai pas vraiment de préférence, de toute manière. »

Cette dernière phrase était un mensonge éhonté, Astoria avait une préférence très marquée : ce qu’elle aimerait, c’est intégrer le service législatif chargé d’écrire les textes de lois. Bien sûr, la direction des lois étaient formulée par le corps législatif, mais les nuances apportées dans la rédaction des différents alinéas pouvait tout changer. Il y avait là un véritable pouvoir, d’autant plus libéré de contraintes qu’il restait bien souvent insoupçonné, même par les premiers concernés. Et c’était un type de pouvoir auquel Astoria aspirait : discret, mais susceptible d’impacter l’ensemble de la société. Cependant, elle avait tellement l’habitude de se prétendre dépourvue de la moindre aspiration politique que son mensonge avait été prononcé avec un parfait naturel : elle l’avait tellement répété qu’une part d’elle-même pouvait même le croire.

Et c’est avec la même sincérité qu’elle compléta son explication, avec des propos qu’elle avait eu l’impression de répéter tout l’été, à chaque fois que des connaissances sous-entendaient qu’il était peu opportun de sa part de vouloir construire une vie professionnelle. Le sujet était donc plutôt sensible, mais cela ne l'empêcha pas de conserver un sourire.

« Et puis je dois bientôt me marier. Je me conformerai bien sûr aux attentes de mon époux, et s’il souhaite un héritier rapidement, je ne resterai pas longtemps ici. »

Là encore, ces propos ne reflétaient pas exactement le point de vue d’Astoria : elle avait quelques doutes quant à la concrétisation de ce mariage, et s’il se faisait elle espérait que son fiancé serait assez progressiste pour envisager d’attendre quelques années avant d’avoir un héritier, ou au moins pour ne pas s’opposer à ce qu’elle travaille jusqu’à ce que la grossesse soit trop avancée. Mais elle ne se risquerait jamais à tenir publiquement de tels propos, à l’opposé de ce que l’on attendait d’elle.