Allez, encore un peu, et c'est fini. Voilà ce que ne cessait de se répéter Evan depuis plus d'une heure. Il n'avait jamais autant regardé sa montre que dans ce laps de temps, pas même dans toute sa vie entière. Quand il avait demandé un stage à Gringotts, il devait avouer que ce n'était pas tellement à ça qu'il s'était attendu. Et pourtant, c'était bien lui qui était coincé, depuis des heures, à faire de la paperasse et à se familiariser aux codes et autres décrets établis par les gobelins. Satanées bestioles... Y'avait pas idée de créer autant de règles pour une simple banque. Evan était certain qu'il ne retiendrait jamais la moitié de ce qu'on essayait de faire rentrer dans son cerveau. Quand quelque chose l'ennuyait, il n'arrivait pas à être aussi opérationnel qu'il le fallait, c'était comme ça. Et là, c'était plus de l'ennui qui s'emparait de lui, c'était quelque chose de bien plus puissant. Il n'était même pas sûr de pouvoir lutter contre. En plus de ça, Betty n'était pas là, ni son coéquipier. Quand ils étaient dans les parages, c'était tout de suite plus vivant. Mais aujourd'hui, ils étaient en mission, et c'était le calme plat.
Le jeune homme, las, lança un nouveau regard à sa montre. Plus qu'un quart d'heure. Il pouvait tenir. Il allait finir de jeter un coup d'oeil à ce dossier, puis il s'en irait. Il avait hâte de sortir d'ici. Pour un peu, il se serait cru dans un cours d'Histoire de la Magie. Sauf que Bins avait été dissous pour rendre absolument tout ce qui l'entourait ennuyeux à mourir. Au moins, à Poudlard, il pouvait décider d'aller ou non en cours. Les conséquences étaient minimes. Ici, ce n'était plus pareil. Il n'y avait plus de cours, plus de professeurs, plus tous les autres élèves, plus ses amis, plus Lys...
Evan soupira. Lys... Il n'avait pas eu une minute à lui depuis le début de son stage. La journée, il allait au travail, puis il rentrait le soir et il potassait les livres que lui avait filés Betty, en essayant d'être le meilleur possible. Il n'avait plus aucune vie sociale. Pire que tout, il n'avait même plus le temps d'envoyer une simple lettre. Il en avait écrit une, pourtant. Un petit mot pour lui dire qu'il était toujours en vie, dans les tréfonds de la banque. Cependant, le mot était resté sur son bureau, et ça faisait des semaines qu'il se disait qu'il devait l'envoyer. A chaque fois, pourtant, il y avait quelque chose de plus urgent à faire. Parce qu'en plus d'avoir un emploi, Evan cherchait maintenant à se trouver un appartement. Oui, c'était bien beau de vivre chez Papa et Maman, mais l'ancien Serpentard avait maintenant dix-huit ans, et il voulait prendre sa totale indépendance. Alors tout ça, ça l'empêchait de faire pas mal de chose. Pourtant, ce n'était pas l'envie de voir Lys qui manquait. Bien au contraire...
Dix-sept heures trente sonnèrent enfin, et Evan se leva aussi sec de son bureau, ramassa ses affaires en quatrième vitesse, posa son dossier sur le bureau principal puis traça sa route loin, très loin de la paperasse gobeline. En quelques minutes à peine, il était sorti de la banque. Une fois à l'air libre, dans l'artère principale du Chemin de Traverse, le jeune homme inspira à pleins poumons, sa veste sous le bras, la bandoulière de son sac passée à l'épaule. Ah, oui, là, il était beaucoup mieux.
Après s'être légèrement étiré, Evan passa sa veste et commença à descendre les escaliers qui menaient à la rue quand il remarqua le hibou qui semblait essayer d'attirer son attention, perché sur une des décorations de la banque. Le jeune homme leva le bras vers lui et l'oiseau vint se percher dessus. L'ancien Serpentard le reconnut aussitôt et l'éloigna prudemment de lui. C'était le pigeon du frangin de Lys. Sans qu'il sache trop pourquoi, le piaf, à l'instar de son maître, n'avait jamais pu le blairer. A chaque fois qu'il recevait du courrier de cette bestiole, Evan devait faire attention à ne pas perdre un doigt dans la manoeuvre. Tel maître, tel oiseau, pensa le jeune homme. La seule bonne chose, dans tout ça, c'était que ce pigeon maudit apportait toujours une lettre de Lys. Il s'empara alors du parchemin, tout en surveillant le volatile du coin de l'oeil, puis, une fois fait, il se débarrassa rapidement de l'oiseau, qui s'envola en lui envoyant un hululement indigné.
Avec des gestes rapides, à la limite du fébrile, Evan déplia et lut la lettre. Il sourit presque instantanément, dès le "Evan", un sentiment de joie un peu idiot se répandant dans sa poitrine. Les derniers mots de Lys, surtout, accentuèrent le sourire du jeune homme. Oui, elle lui manquait aussi, et pas qu'un peu. Il ne regrettait pas particulièrement le Ministère - pas du tout, d'ailleurs - mais il regrettait de ne plus passer autant de temps qu'avant avec Lys. Les révisions, les discussions dans la salle commune, les fous rires, et tout le reste... C'était certain qu'il n'avait plus tout ça, maintenant. Il aurait aimé consacrer plus de temps à la jeune femme. D'ailleurs, son travail n'était pas une excuse. Un sentiment de culpabilité commença à envahir le jeune homme, quand il se rendit compte qu'il n'avait même pas pris le temps de lui dire qu'il avait trouvé un stage à Gringotts. Quel genre de mec il était, exactement ?
Sortant immédiatement une plume de son sac, Evan retourna le parchemin, découvrant quelques lignes de Métamorphose au dos qui le firent sourire, puis il écrivit sa réponse. Bien, il était bien avancé, maintenant. Il avait renvoyé le pigeon de l'autre idiot, il n'avait plus de moyens de renvoyer son mot. Poussant un soupir, le jeune homme partit au pas de course et se rendit au bureau de poste le plus proche. Il entra rapidement, demanda un hibou exprès et envoya sa réponse, qui disait :
Ma chère mademoiselle,
Je serais plus que ravi de vous accorder du temps. Quel affreux ami je fais, sincèrement. Mon emploi du temps ne me donne aucune excuse, j'aurais dû trouver un moment pour envoyer cette fichue lettre qui attend depuis des semaines sur mon bureau. Mais je propose qu'on se retrouve au nouveau bar du Chemin de Traverse - tu sais, celui qui vient d'ouvrir, je me rappelle plus le nom - vers dix-huit heures trente et que je te raconte tout ça de vive voix. Qu'en dis-tu ?
Toi aussi, tu me manques atrocement,
Evan
Le jeune homme avait un instant hésité à préciser à quel point Lys lui manquait. Après tout, c'était la vérité, mais il trouvait que ça avait une sonorité bizarre. Enfin bon, il l'avait laissé, tout de même, parce que c'était Lys, et qu'elle lui manquait vraiment atrocement.
Une fois fait, il sortit attendre la réponse. Elle ne tarda pas. Quelques instants plus tard, le même hibou revint, missive à la patte. La réponse était positive. Evan regarda sa montre. Bien, il avait largement le temps de s'y rendre à pied.
Il arriva vite devant le nouveau bar. C'était un établissement chaleureux, où les jeunes avaient déjà pris possession des lieux. Le jeune homme entra, salua vaguement quelques personnes qu'il connaissait, puis alla s'installer à une table. Il déposa toutes ses affaires puis soupira. En vérité, il était un peu fatigué, mais rien qu'il ne put gérer avec succès. Et il avait des choses à faire, aussi... Mais bon, il pouvait bien repousser ses lectures à une autre fois. Il avait déjà fait attendre Lys trop longtemps. Non mais vraiment... Evan avait de l'ambition, c'était certain, et il était plutôt du genre travailleur acharné quand il voulait vraiment quelque chose, mais là... Il ne s'était pas réellement rendu compte qu'il avait autant délaissé la jeune femme. Elle était toujours à Poudlard, et depuis l'année de leur rencontre, ils avaient toujours été plus ou moins ensemble. Enfin, ensemble, tous les deux, quoi. Pas en tant que couples, hein, mais comme "ensemble", en groupe quoi ! En tant qu'amis !
Evan soupira et se pinça l'arrête du nez. Bien sûr que c'était en tant qu'amis, en tant que quoi d'autre sinon ? Vraiment, il fallait qu'il arrête de se prendre la tête deux secondes.
Après un temps d'attente, Lys arriva. Evan lui fit un grand sourire, puis il la détailla rapidement du regard. Il avait de plus en plus de mal à reconnaître la petite Poufsouffle qu'il avait sauvée des griffes des vilains méchants persécuteurs, il y avait quelques années maintenant. Plus le temps passait, plus Lys changeait. Particulièrement ces dernières temps. Evan avait commencé à s'en rendre compte quand ils avaient passé l'après-midi dans l'eau, sur l'île du vieux. Oui, Lys avait quelque chose de changé. Et c'était de plus en plus évident avec le temps. C'était presque comme si elle... pétillait. Elle semblait toujours si vivante... C'en était déstabilisant.
- Et voilà la plus belle, déclara Evan en se levant, un sourire aux lèvres, à la limite du charmeur.
Sans plus de cérémonie, il la prit dans ses bras. Tout de suite, il se sentit mieux. Mieux de quoi, il ne savait pas, mais il sentit comme si tout était enfin normal. Comme si les choses retrouvaient une sorte d'équilibre.
- Tu as le droit de me frapper pour être un mec si indigne, ajouta-t-il en se détachant finalement de la jeune femme, l'air un peu penaud. Je te jure que j'ai écrit une lettre, mais je... Disons que j'ai plus beaucoup de temps à moi, depuis quelques semaines. Désolé. Je sais que ça n'excuse rien.
Il lui fit un petit sourire, puis se rassit. Le serveur vint prendre leurs commandes, puis Evan se tourna vers Lys, retrouvant son sourire habituel.
- C'est moi qui paie. Je te dois bien ça. Alors, vas-y, raconte : comment ça se passe le Ministère ? Maintenant que je ne suis plus là, je suppose que tu dois t'ennuyer à mourir, soupira-t-il théâtralement.
C'était dingue, il avait toujours envie de faire le pitre avec Lys. Après tout, ça avait toujours le mérite de la faire sourire.